CHAPITRE XXVII
Jaina Solo était assise au milieu des pilotes réunis pour le briefing du colonel Darklighter, qui se tenait dans la cabine principale de la navette de classe Lambda du sénateur A’Kla, l'Inaccessible. En dépit de la relative jeunesse du colonel, c’était un des « vieillards » du groupe. Jaina était persuadée qu’un des pilotes d’Affreux avait à peine l’âge d’Anakin.
Elegos était à l’écart, comme s’il était un observateur, non un participant. Pourtant, sa navette serait en première ligne quand les Vong arriveraient.
Sur un ordre de Gavin, elle fit apparaître un hologramme d’un corail skipper.
– Vous avez déjà vu des skips et vous vous êtes battus contre eux. Nous ignorons quel rôle ils joueront lors d’une attaque au sol, mais leurs armes à plasma tueront tous ceux qui se mettront sur leur chemin. Notre travail sera d’affronter les skips, et de les empêcher de soutenir l’attaque au sol. C’est la mission principale, qui sera du ressort de l’Escadron Rogue et de l’Escadron Sauvage.
Les Affreux avaient été réorganisés et l’Escadron Sauvage était composé de vaisseaux disposant de boucliers.
Ils risquent de subir de lourdes pertes. Leurs navires ne résisteront pas aussi bien que les nôtres au pilonnage des Vong.
L’autre Escadron, les Durs, comptait des vaisseaux moins puissants dépourvus de boucliers.
Gavin se tourna vers eux.
– Pendant que nous vous débarrasserons des skips, vous harcèlerez l’infanterie. Nous ignorons s’ils disposent de véhicules. S’ils en ont des gros, il importera de les éliminer. Vous pourrez utiliser des torpilles à protons ou des missiles à concussion, mais dans le cadre d’une stratégie d’attaque spécifique.
Le major Varth appuya sur une touche de son databloc. L’hologramme statique fut remplacé par une animation. L’image spéculative d’un véhicule au sol yuuzhan vong apparut : un scarabée géant avançant sur des milliers de petites pattes. Trois chasseurs s’en approchèrent. Deux le canardaient avec leurs canons-laser, et le troisième larguait des torpilles à protons. Le véhicule absorba les rayons grâce à ses trous noirs, mais laissa passer la torpille. Elle explosa, soulevant le scarabée du sol et le fendant en deux.
– Nous avons utilisé un scarabée parce que nous savons qu’ils en utilisent. Mais peu importe à quoi ressemblera le transporteur : l’idée est de les distraire avec un feu nourri, puis d’expédier une torpille.
– Colonel, pardonnez-moi, dit Elegos, mais cette stratégie n’est-elle pas basée sur un certain optimisme ? Nous ignorons combien de basals dovin auront les véhicules au sol… On risque de gaspiller nos torpilles !
– Je suis d’accord. Mais la possibilité d’éliminer beaucoup de Vong vaut la peine de courir le risque.
Jaina leva la main.
– Oui, pilote Solo ?
– Colonel, une idée m’est venue. L’anomalie gravitationnelle d’un basal dovin aspire la torpille à protons et étouffe l’explosion.
– C’est ce que nous supposons. Chaque explosion fatigue le basal dovin, ce qui revient à peu près à affaiblir un bouclier.
– D’accord. Et si nous compliquions la tâche ?
Gavin fronça les sourcils.
– Je ne comprends pas…
– Mon idée est la suivante. Si nous reprogrammons les torpilles à protons et les missiles à concussion pour qu’ils reçoivent en permanence les données de visée de nos vaisseaux, nous pourrions les faire exploser dès qu’une anomalie gravitationnelle se met en position pour les intercepter. Le trou noir absorbera peut-être une partie de l’énergie, mais le reste fera des dégâts sur les troupes ou sur les véhicules qui n’ont pas de trou noir. L’onde de choc assommerait une partie des guerriers et la chaleur provoquerait peut-être des incendies.
– Oui, ça marcherait… Mais les pilotes devront garder leurs vaisseaux verrouillés sur la cible pendant un moment, et ça pourrait les mettre en danger.
Le major Inyri Forge leva une main.
– En mode d’attaque au sol, une torpille ne met pas très longtemps à atteindre la cible. Une ou deux secondes, pas plus.
– Nous pourrions aussi asservir nos missiles aux données de visée venant des cargos, dit un des Durs. Il nous suffira d’arriver à l’improviste, de lâcher nos missiles et de filer, ou de nous préparer à un autre passage. Si nous tirons sur des troupes assez denses, nous ferons pas mal de dégâts.
– C’est une modification prometteuse, dit Gavin. Parfait. Je demanderai aux droïds de simuler cette stratégie afin de voir comment elle fonctionne. Pilotes de cargos, occupez-vous de modifier vos détecteurs pour qu’ils nous donnent la télémétrie dont nos missiles ont besoin. Ça ne devrait pas être très compliqué. Comme les détecteurs seront occupés à autre chose, vous devrez utiliser vos canons en mode manuel. Quand les Vong seront trop près pour que nous puissions encore leur expédier des torpilles, vous récupérerez les données des détecteurs.
« Ça ne sera pas du gâteau, j’aime autant vous le dire ! Habituellement, les pilotes de chasseurs sont fiers d’affronter des adversaires à notre hauteur. Mais la bataille ne sera pas à armes égales. Une fois la couverture des troupes d’infanterie éliminée, nous les descendrons aussi vite que possible. Des tirs éparpillés ne feront pas grand mal à un chasseur, mais ils tueront les guerriers en quelques secondes. Ça ne sera pas joli, mais c’est nécessaire.
A travers une verrière, Gavin désigna le camp des réfugiés.
– C’est nécessaire, parce que ces gens ne sont pas des combattants, même s’ils ont des blasters. S’ils doivent tirer, c’est que nous aurons échoué. Protéger les adultes et les enfants est plus important que notre survie. Ça ne veut pas dire que vous devez vous comporter comme des imbéciles. Mais vous serez parfois obligés d’oublier ce qui serait raisonnable.
Gavin salua ses troupes.
– Vous savez tout. Faites autant de simulations que vous pourrez, dormez le mieux possible et tenez-vous prêts. Quand ils arriveront, il faudra les arrêter. Rien d’autre ne fera l’affaire !
A côté d’un des parapets composé de terre et de débris de plastifibre qui entouraient le camp, Jacen attendait. Son tour de garde était fini depuis deux heures. Il avait mangé, puis tenté de dormir.
En vain.
Il était alors retourné au périmètre pour relever un autre garde.
Si je ne peux pas dormir, autant permettre à un camarade de le faire.
Les événements de la semaine précédente l’avaient profondément perturbé. Sa vision était incroyablement claire. Pourtant, il s’était précipité tête baissée dans un piège. Il revoyait sans cesse son oncle débouler dans le camp des Yuuzhan Vong avec ses deux sabres laser. Il avait connu Luke Skywalker toute sa vie, mais ses plus grands exploits dataient d’avant sa naissance. Il savait que son oncle était une légende, mais il n’avait jamais vu pourquoi.
Ce que Luke avait fait pour le sauver l’avait impressionné, ainsi que sa réaction après. Luke semblait avoir vieilli d’un coup. Une fois revenu à bord du Courage, il avait mis en route l’autopilote et s’était retiré dans sa cabine pour méditer et récupérer, laissant Jacen s’occuper seul de la coupure sur son visage. Le jeune homme toucha la cicatrice qui lui rappelait à quel point il était passé près de l’esclavage…
Sans elle, j’aurais du mal à croire ce qui est arrivé.
– Ne tripote pas ta blessure, Jacen. Si elle s’infecte, tu auras une vilaine cicatrice.
Le jeune Chevalier Jedi se tourna et sourit à Danni.
– Ça me donnerait un air plus fringant, tu ne trouves pas ?
– Tu n’en as pas besoin. Tu es un beau garçon, si on oublie ce regard soucieux.
Jacen cligna des yeux.
– Ce n’est pas de l’inquiétude, seulement de la confusion. Et tu ne devrais pas pouvoir le remarquer, à moins que tu le lises en moi grâce à la Force.
– Je me suis entraînée à faire ce que Jaina m’a montré : soulever des choses et garder mes émotions pour moi.
Jacen sentit un peu de crainte chez Danni.
– Tu t’en sors très bien, mais la peur ne devrait pas faire partie de tes émotions. Elle mène à la haine…
– Je sais. C’est le premier pas vers le Côté Obscur. Mais j’ai été prisonnière des Yuuzhan Vong, et je ne supporterai pas que ça recommence.
– Ils ne laissent pas une très bonne impression à leurs « invités »…
– Non. J’aimerais être aussi courageuse que toi, Jacen. Pouvoir plaisanter…
– Je ris pour ne pas pleurer, Danni. Etre brave n’est pas si compliqué. Le plus souvent c’est dû à l’ignorance de ce qui se passe vraiment. Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur, et toi non plus, au moment où nous nous sommes enfuis. Tu n’étais pas effrayée quand c’était important.
– Mais je le suis maintenant. Je sens la peur partout.
– Il y a en beaucoup dans le camp, et au-dehors… Oncle Luke et moi l’avons reconnue : c’est celle des esclaves. Il y a gros à parier que la première vague d’assaut en sera composée. Ça permettra à nos ennemis de tester nos défenses sans que leurs guerriers se fassent tuer…
– Crois-tu que nous gagnerons ?
– Nous n’avons pas le choix ! J’aimerais te dire oui, mais si je me trompe, nous ne serons plus là pour en parler.
– Pas de vision prémonitoire ?
– Non, et je ne suis pas sûr que j’y croirais si j’en avais une. Je ne sais plus que penser… Il y a deux semaines, j’étais persuadé de devoir vivre en ermite pour réaliser mon potentiel. Maintenant, je vois qu’on a besoin de moi pour secourir des innocents. Les Jedi sont peut-être méprisés ailleurs, mais ici, on nous regarde comme des sauveurs. Il se peut que les gens se raccrochent à n’importe quoi… En tout cas, leur redonner espoir me fait plaisir.
– Tu admets enfin qu’un Jedi a des responsabilités hors de sa relation à la Force ?
– Je n’y ai pas réfléchi en ces termes, mais je crois que la réponse serait « oui ». Pourtant, je me demande toujours si quelqu’un de plus puissant que moi aurait compris à quel moment ma vision est allée de travers. Oncle Luke dit que l’avenir change sans cesse. Ma prémonition était peut-être juste… jusqu’au moment où quelqu’un l’a modifiée. Mais si tout s’était bien passé, nous ne serions peut-être pas venus ici, et nous n’aurions pas pu sauver Mara et Anakin. Pourtant…
–… Tu aimerais maîtriser mieux la Force. Si c’est le chemin que tu dois suivre, tu veux savoir comment la piste est jalonnée.
– C’est un peu ça.
– Peut-être ce chemin est-il comme l’avenir, sans cesse en mouvement. Pour le moment, tu dois secourir ces gens. Plus tard, tu pourras partir seul. Quand tu arriveras à la croisée des chemins, ton expérience te permettra de décider si tu veux quitter une voie pour en emprunter une autre.
– Oui. Pour le moment, je n’ai pas beaucoup d’expérience. On dirait que tu as longuement réfléchi à la Force.
– Pas à la Force, à la vie. J’ai dû faire des choix, moi aussi. J’aurais pu rester sur Commenor, me marier et avoir des enfants. Mais j’ai préféré poser ma candidature à ExGal et j’ai eu un poste sur Belkadan. Si je survis à cette épreuve, je réviserai peut-être ma décision.
– Tu veux te marier et avoir des enfants ?
– Si je trouve chaussure à mon pied, oui, c’est possible. Pour le moment, mes émotions sont incertaines… La gratitude, la peur, la curiosité… Tout se mélange en moi.
– Et quelqu’un te plairait ?
La question était un peu maladroite. Jacen savait qu’une femme de cinq ans son aînée ne penserait pas à lui de cette façon.
Et pourtant…
Elle a dit que j’étais beau garçon. Mais elle me considère comme un gosse, j’en suis sûr…
– Les liens sentimentaux font partie des considérations que j’avais remises à plus tard. Peut-être le moment est-il venu… Je ne suis sûre de rien. Si tu étais un peu plus âgé, ou moi un peu plus jeune, et dans des circonstances différentes… J’ai des sentiments pour toi, Jacen, mais ils se confondent avec le reste. Tu es si prévenant, comme quand tu m’as rapporté les hologrammes et les souvenirs de Belkadan…
– Mais tu ne te fies pas à tes émotions, avec tout ce qui se passe en ce moment ?
Danni hocha la tête.
– Tu es un garçon merveilleux et je suis contente de t’avoir comme ami. Pour le reste, comme tu le dis, l’avenir change sans cesse…
Jacen se rembrunit. A l’Académie, il avait eu des coups de cœur pour des camarades, mais Danni était la première femme qui l’attirait. Cela dit, il savait que l’intimité forcée qu’ils avaient partagée dans la capsule de sauvetage n’était généralement pas associée à une première rencontre.
– Je t’ai blessé ? demanda Danni.
– Les Chevaliers Jedi ne connaissent pas la douleur, Danni. En des temps pareils, avoir une amie est un trésor. Et c’est probablement la meilleure solution pour nous.
Elle tendit la main et lui effleura la joue.
– Voilà une réponse qui montre ta maturité, Jacen. Tu es quelqu’un de spécial…
– Merci. J’aime donner le meilleur de moi-même à mes amis.
Anakin s’arrêta à la porte de la cabine de Mara. Luke en sortit et sourit à son neveu.
– Elle se repose…
– Je ne veux pas la déranger. (Il désigna le couloir.) Je vais repartir…
– J’aimerais que tu viennes avec moi, Anakin.
– Oui, oncle Luke.
– Je suis content de te voir debout. Les Yuuzhan Vong ont fait de leur mieux pour te découper en morceaux.
Anakin haussa les épaules. Il avait encore des pansements de bacta sur certaines coupures.
– Un Jedi ne connaît pas la douleur, Maître.
– Mais il connaît la gratitude. Tu t’es acquitté merveilleusement de ta mission auprès de Mara. Elle m’a tout raconté, et je suis très fier de toi. Je n’aurais pas cru que ce serait aussi difficile. Je me félicite de t’avoir envoyé avec elle.
– Je ne voulais pas te décevoir, oncle Luke. Ni toi, ni tante Mara. J’ai fait ce que ma mission exigeait. Je suis désolé de n’avoir pas pu sauver le Sabre et les autres objets que nous avions emportés. Si j’avais pensé…
– Ne te fais aucun reproche. Tu as agi au mieux en la circonstance.
– Tu es trop généreux.
– Quand j’ai eu la vision qui m’a permis de vous trouver, je savais que beaucoup de facteurs pouvaient modifier l’avenir. Si tu avais hésité ou voulu abandonner la lutte, je n’aurais pas pu te secourir. Tu as fait exactement ce qu’il fallait, comme lorsque tu as sauvé ton père à Sernpidal. Quand tu t’es dressé pour protéger Mara, au moment où tout semblait perdu… Tu étais illuminé par la Force. Ils n’auraient jamais pu t’abattre.
– Super ! Euh, je veux dire, merci, Maître.
– Le Maître Jedi est content de son apprenti. Et je te suis personnellement reconnaissant d’avoir sauvé mon épouse. Hélas, les circonstances se prêtent peu à des cérémonies officielles…
– Tout ce que je demande est d’être autorisé à me battre à tes côtés.
Luke caressa les cheveux d’Anakin.
– Ne considère pas ça comme une récompense. Si j’avais le choix, j’éviterais que tu te battes. Tuer des gens et risquer sa vie, voilà ce que j’aimerais nous éviter à tous. Mais je te laisserai lutter à mes côtés parce que la situation l’exige. Et parce que tu as le courage et l’intelligence nécessaires pour protéger les autres.
– Ça me semble une formidable récompense.
– Pas à moi… J’aimerais convaincre les Yuuzhan Vong que mon point de vue est le bon. Ils comprendraient alors qu’il n’y a pas de récompense pour eux…